Le Grand Continent, Jean-Marc Lieberherr
Le nom de Jean Monnet est étroitement associé à celui de la construction européenne. Architecte de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, premier président de sa Haute Autorité, l’ancêtre de la commission européenne, aiguillon infatigable de l’unification européenne à la tête de son Comité d’Action pour les Etats-Unis d’Europe, Jean Monnet a fait de l’union des Européens dans la paix le combat d’une vie. S’il est peu connu du public, c’est notamment par ce qu’il n’a pas occupé de poste politique, préférant l’action discrète et l’influence occulte à l’action publique pour laquelle il ne se sentait pas de talent particulier. Et pourtant, Jean Monnet a par son action infléchi le 20ème siècle comme peu d’hommes l’ont fait. Pour le meilleur, diront ses disciples, et ils sont nombreux dans les milieux pro-européens. Pour le pire, rétorqueront ses détracteurs, qui voient en lui un fossoyeur de la souveraineté nationale au profit d’une bureaucratie européenne irresponsable.
Les clivages et les passions qu’elles suscitent ne font que confirmer l’importance de la pensée et de l’action de Jean Monnet. Ils nous incitent à mieux les comprendre pour mieux les jauger. Qu’on décide de s’en inspirer ou au contraire de la rejeter en bloc, on ne peut pas être indifférent à la leçon d’un homme qui, après avoir quitté l’école à 16 ans pour vendre le cognac familial à travers le monde, a su jouer un rôle décisif dans la résolution des deux guerres mondiales et a pavé la voie de l’unification européenne sans jamais vraiment détenir de pouvoir formel. Cette leçon, Jean Monnet a souhaité la consigner dans ses Mémoires, écrits en 1976, trois ans avant sa mort. « Peut-on écrire des Mémoires sur l’avenir ? » avait-il interrogé l’historien Jean-Baptiste Duroselle. À défaut, les Mémoires seraient un testament politique et un traité sur l’action. Depuis, la vie et l’œuvre de Jean Monnet ont été magistralement éclairés par la biographie d’Eric Roussel qui fait figure de « source primaire » sur Jean Monnet (Jean Monnet, Fayard, 1995).
La réédition des Mémoires de Jean Monnet (Pluriel, avril 2022) augmentés de préfaces d’Emmanuel Macron et d’Ursula von der Leyen, et d’une postface inédite d’Eric Roussel, sont l’occasion d’une relecture et d’une redécouverte d’un texte qui parait étonnamment actuel. Les dangers et défis auxquels l’Europe est confrontée depuis 70 ans semblent revenir nous hanter à intervalles réguliers sans que nous soyons véritablement capables de leur apporter des réponses pérennes. Aurions-nous un problème de vision, de méthode, les deux ? Peut-être est-il opportun de chercher dans la pensée et dans l’action de Jean Monnet (qu’il pensait indissociables) quelques leçons utiles pour aujourd’hui et pour demain. Les passages qui suivent sont extraits des Mémoires et tentent de faire découvrir des aspects mal connus de la méthode d’action de l’auteur et de ses conviction en matière d’action collective.
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