Deux semaines après l’ouverture du marché européen de l’acier, le 17 mai 1953, Jean Monnet reçoit le Prix Charlemagne et prononce un discours qui fera date. Retrouvez ci-dessous l’intégralité du discours de Jean Monnet

          Le monde a beaucoup changé, mais son avenir, pour une grande part, dépend toujours de ce qui se passe en Europe.

          Il n’y a pas eu de paix pour l’Europe, ni pour le monde, par les conditions anciennes.  Les conflits européens ont obligé les Etats-Unis à jeter à deux reprises leurs forces dans la bataille sur le continent, et, en même temps, nous ont conduits, ainsi que l’Union Soviétique, aux bords de la destruction.

          Pour sauver les précaires relations pacifiques qui existent aujourd’hui dans le monde et les développer en une paix durable, il faut transformer la situation européenne par l’union des Européens.  Nous éliminerons ainsi la menace que les divisions et la faiblesse de l’Europe font peser sur elle-même et sur les autres.

          Si nous restons désunis comme nous le sommes, les Européens resteront exposés aux initiatives des ambitions nationalistes et seront poussés, selon les formules du passé, à chercher des garanties extérieures pour se prémunir les uns contre les autres, – chacun craindra, comme par le passé, le développement des autres -. Les marchés nationaux trop étroits maintiendront les rivalités économiques nationales et l’infériorité des conditions de production européennes.  L’incertitude sur le destin de l’Europe entretiendra dans le monde la défiance et les précautions réciproques.  L’Europe désunie serait pareille à ces régions vouées au sort d’enjeu, à l’occasion desquelles les guerres ont éclaté.

          Actuellement, les antagonismes nationalistes, les malentendus et l’incompréhension entre les peuples, le soupçon, subsistent.  Le mystère entoure les travaux de l’immense Russie et la puissance des armes nouvelles.

          Aujourd’hui, la paix ne dépend pas seulement des traités ou d’engagements.  Elle dépend essentiellement de la création de conditions qui, si elles ne changent pas la nature des hommes, orientent dans un sens pacifique leur comportement vis-à-vis les uns des autres.  C’est là une des conséquences essentielles de la transformation de l’Europe qui est l’objet de notre communauté.

          En réalisant leur unité, en rendant à l’Europe sa vigueur, en créant des conditions nouvelles et durables, les Européens contribuent à la paix.  Ils empêchent l’engrenage fatal dans lequel, s’ils restaient désunis, et quels que soient les traités conclus, les effets de leurs actions opposées et de leur faiblesse les entraineraient avec les autres peuples.

           Faire l’EUROPE, c’est faire la PAIX

                                                                                Aix-la-Chapelle, 17 mai 1953.

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